Jeudi 6 octobre, 16 heures. Dans 4h30, toute la troupe du musical Cabaret sera sur scène, pour entamer cette nouvelle saison au Théâtre Marigny, avant de partir en tournée. Pour l’instant, le plateau est surtout envahi par les journalistes, qui se pressent autour des artistes pour quelques interviews.
Danses avec la plume a pu parler quelques minutes avec Claire Pérot, interprète du rôle principal de Sally Bowles. Une interview d’Emannuel Moire, qui incarne le Maître de cérémonie, est à retrouver par ici.
Claire Pérot, comment êtes-vous venue à la comédie musicale ? Ça a commencé par hasard, et très jeune. J’avais un professeur de musique au collège un petit peu mégalo qui montait des comédies musicales. Et comme ça mêlait tous les arts, ça me plaisait beaucoup. Moi, à côté de ça, je faisais du théâtre, de la gym, de la danse, du chant… Alors pourquoi ne pas continuer en essayant de faire tout, justement ?
L’aventure Cabaret a démarré pour vous en 2006, lorsque Sam Mendes a monté sa version du musical en France. Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ? C’est assez marrant. J’avais passé les auditions pour Le Roi Lion. Et ça a été retardé, parce que les travaux à Mogador n’étaient pas terminés. On m’a à la place appelé pour Cabaret. Et moi, je ne savais du tout ce que c’était, Cabaret. J’ai demandé à des copains, qui m’ont dit qu’il n’y avait rien du tout pour moi, qu’il n’y avait que des rôles de Feeeemmes. Et c’est vrai que j’étais assez garçon manqué… Comme quoi, il ne faut jamais écouter ses copains (rires) !
Et comment se glisse-t-on dans ce symbole de la féminité si l’on est un garçon manqué ?
On se glisse dans la peau de Sally Bowles en travaillant, en faisant pousser ses cheveux (ndlr : même si pour cette version elle a une adorable coupe courte), en mettant des talons, et en faisant confiance à la féminité qu’on a au fond de soi, et que j’avais sûrement un petit peu trop enfouie.
Cabaret, c’est un film légendaire et un classique de Broadway. Pour ceux et celles qui seraient passé-e-s à côté, pourriez-vous présenter votre personnage de Sally Bowles ? Sally Bowles est la meneuse de revue du Kitkatclub, un club berlinois dans les années 1930. A cette époque-là, en Allemagne, c’est la crise. Et dans les clubs, dans les boîtes de nuits, dans les cabarets, il y a une espèce de faune qui est complètement folle, artistiquement et humainement. Tout le monde se lâche, parce qu’on sort d’une guerre, et qu’on commence à rentrer dans une autre, sans vraiment s’en rendre compte,
Et Sally Bowles va rencontrer un auteur américain, Cliff Bradshaw. Ils vont tomber amoureux. Cliff va essayer de sortir Sally des méandres de la montée du nazisme. Mais Sally ne voit pas tout ça. Elle ne voit qu’une chose, c’est le cabaret dans lequel elle a toujours vécu et évolué, et qui est sa seule et unique raison de vivre.
Comment avez-vous construit votre personnage ? J’ai lu le livre de Christopher Isherwood, parce que la mise en scène de Sam Mendes y est beaucoup plus fidèle qu’au film de Bob Fosse. J’ai aussi extrêmement bien étudié mon livret, pris énormément de temps pour m’intéresser à toute cette époque, à tout ce qui tourne autour aussi bien artistiquement que politiquement parlant, à Berlin et en France aussi. J’ai construit mon histoire de Sally comme ça. J’ai en fait vu le film un an après la première.
Vous avez rencontré Liza Minnelli, l'interprète originale du rôle, en 2006, lors de l'arrivée de Cabaret en France. Comment cela s'est passé ?
J’ai rencontré Liza Minnelli un petit peu avant le début des représentations aux Folies Bergère, et puis elle est venue le soir de la première. J’étais très impressionnée, et en même temps, tout de suite, je me suis rendue compte que j’avais à faire à quelqu’un comme vous et moi. Une femme, avec ses délires de femmes, son originalité de femme, ses souffrance de femme. Je fais partie de ces gens qui aiment bien balayer les a priori, les jugements et les masques. Et quand on se retrouve devant une grande star comme ça, si on ne balaye pas tout ça, on perd sa voix. Moi, je n’avais qu’une envie, c’était de discuter avec l’être humain. Et c’est ce qui s’est fait, et c’était génial.
Qu'est-ce qu'elle vous a dit ? "Be yourself, be rock’n'roll !" Des petites choses comme ça... Elle a trouvé cette mise en scène extraordinaire. Je crois qu’elle était très très émue, derrière une fois encore tous ses travers folle dinguo. C’est sa madeleine de Proust, elle avait 26 ans à l’époque.
Vous avez tenu ce rôle pendant deux ans, vous le reprenez pendant au moins un an… Comment ne fait-on pas toujours la même chose ?
Je me nourris de la vie de tous les jours, de mes expériences. Je me nourris aussi du très long et fastidieux travail que nous avons fait avec le metteur en scène. Toutes ces notes, toutes ces heures de travail en tête à tête où il m’a demandé de creuser, de fouiller dans des sensations, des émotions, des sentiments qui me sont propres… Sans non plus faire d’amalgame, parce qu’il faut savoir sortir du rôle. C’est un travail de tous les jours.
Quelle est la différence entre votre Sally Bowles de 2006 et celle d’aujourd’hui ? La différence ? La vie (rires) ! Je ne suis plus la même. Je vais avoir 30 ans, à l’époque, j’en avais 25.
Jouer tous les soirs Sally Bowles, ce n'est pas usant ? C’est tout le travail du comédien de savoir se détacher de ça justement. C’est éprouvant physiquement, parce que je me sers de ma machine, de mon corps, de mon physique pour palier la psychologie. Si je mettais tout sur mon psychisme, je sortirais de scène, je ne serais même pas capable de rentrer chez moi. Donc c’est un travail qui se passe énormément dans le corps, dans les sensations, on apprend à apprivoiser ses sensations-là, tout en détachant son histoire personnelle. Sinon, c’est clair que ce n'est pas possible.
Vous avez fait une préparation physique particulière pour cette reprise ? (ndlr : de près, elle est toute fine mais semble très musclée).
Je suis sportive de nature. Je suis une ancienne gymnaste, j’entretiens mon corps toujours, tous les jours, pour éviter qu’il se blesse. Là-dessus, ça a été assez facile pour moi.
En 2006, lors de la première de Cabaret, il n'y avait quasiment aucun spectacle comme ça en France. Puis il y a eu Le Roi Lion, Mamma Mia!, le Châtelet a programmé des musicals... Que pensez-vous de cette évolution ? Je trouve ça super. Cela permet à énormément de gens d’y bosser, de s’exprimer, à des nouveaux talents d'apparaître, à des nouveaux artistes de créer. Et c’est toujours positif.
Entre les deux Cabaret, vous avez travaillé sur Mozart, l'Opéra Rock. A quand un album perso ? Je ne suis pas que dans la comédie musicale (légèrement agacée). Je suis comédienne, comédienne de théâtre, comédienne de cinéma, comédienne de télévision. J’ai été animatrice TV, j’ai fait de la radio, je prépare un album. Je ne suis pas "artiste de comédie musicale", ça ne veut rien dire.